La Chaîne de la Transmission: l’histoire du Portrait de Rafaël

17 Avril 2023
Yom Hashoah, Journée commémorative de l’Holocauste  

Oran, Paris, Le Caire, Strasbourg et New York ….

Pochette CD (tableau de l'artiste Francine Mayran)

Mon projet d’album The Picture of Rafael (Le Portrait de Rafaël), souvent reporté mais qui devrait sortir fin 2023, est né d’une rencontre et d’une découverte inespérées, survenues au printemps 2015 alors que je vivais encore de façon permanente dans la ville de New York depuis presque 20 ans.

Le Vendredi 17 Avril au matin, 7 ans aujourd’hui, la journée, le Shabbat et le weekend s’annonçaient plutôt tristes. C’était en effet le seizième anniversaire de la mort accidentelle de mon père Félix Louis Sabattier dont le sourire solaire était à jamais gravé en ma mémoire.  Cette même semaine d’Avril 2015 était aussi marquée par les 70 ans de la commémorations des victimes de la Shoah (Yom HaShoah). Dans ce contexte empreint de gravité, je m’apprêtais alors à appeler ma mère à Paris pour la réconforter au téléphone et me recueillir avec elle quand soudainement, je fus distrait par un message intriguant reçu sur ma page musicale Facebook et émanant d’une lycéenne basée au Caire.

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La jeune fille prénommée Mariam avait un nom de famille (Bedros) qui m’était inconnu. Je cliquais alors sur son profile Facebook pour en savoir plus. Sa photo de couverture affichait un grand «Je suis Charlie / Je suis Juif» en hommage aux victimes des attentats parisiens de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher survenues en Janvier de la même année. Je trouvais ça plutôt osé et courageux de s’affirmer de la sorte pour une jeune fille résidente en Egypte. Quant à sa photo de profile, elle avait l’air d’une période plus ancienne la montrant petite fille en compagnie d’un homme sénior qui dégageait une présence grand-paternelle. En voyant le nom de famille de cet homme, j’eus un sursaut. Mais je laissais d’abord la jeune fille parler, enfin «tchatter» sur ma messagerie Facebook.

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Elle m’expliqua rapidement qu’elle entreprenait des recherches généalogiques sur un arrière grand oncle maternel du nom de Rafaël Ouhioun alias Ohayon, né en 1900 à Saint-Denis-du-Sig, près d’Oran en Algérie française. Selon ces diverses déclinaisons, ce nom signifierait les «yeux» en arabe et la «lumière de la vie» en hébreu. Le père de Rafaël, Meyer Youssef Ohayon venait de Mogador au Maroc et descendait d’une grande famille d’origines judéo-espagnoles et berbères. Il était parti s’installer en Algérie et à l’immigration l’état civil avait modifié le nom. Ohayon devînt Ouhioun, orthographe unique dans toute cette région. Il y avait rencontrée sa femme Rachelle avec qui il eut neuf enfants. Rafaël était le quatrième de cette grande famille séfarade.

Chanteur, poète, danseur de flamenco, écrivain public, polyglotte, marchand, tailleur et libre penseur, Rafaël avait la fibre artistique, une conscience politique et  l’âme aventurière. Il voyagea et vécut en Europe durant les première et seconde guerres mondiales. Ce jeune chef de famille et engagé volontaire connut malheureusement une fin tragique en pleine fleur de l’âge après son arrestation à Paris et déportation à Auschwitz en 1942.

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Rafaël était mon grand-père maternel. Il ne me restait de lui qu’une photo d’époque que j’avais publiée et légendée en Anglais sur mon site musical en hommage à mes racines méditerranéennes. Grâce à cet archive visible sur internet et la description qui l’accompagnait, Mariam retrouva ma trace jusqu’à l’autre bout de l’Atlantique.  Elle me contactait donc au sujet de Rafaël mais sans pour autant connaitre mon lien de parenté avec lui. Comme elle ne maitrisait pas bien l’Anglais et que mon site portant mon nom d’artiste musical pascalito.com avait une consonance latine, elle pensa un moment qu’il s’agissait d’une base de données ou d’un label World Music d’anthologie d’artistes et chanteurs «ladinos» (judéo-espagnol). Elle y trouverait peut-être plus d’informations et même qui sait des extraits d’enregistrements d’époque de Rafaël.

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Mariam est née en 1999, pour ainsi dire un siècle après Rafaël. Elle a grandi au Caire car sa mère française dont le père était en fait un neveu éloigné de mon grand-père, y enseigne et est mariée à un Egyptien copte. Elle est le fruit de cette union mixte ainsi que ses quatre petits frères dont le cadet s’appelle justement Raphael. Son nom en arabe signifie «goutte de pluie» et «aimée de dieu». Mariam était très proche de son grand-père maternel, le docteur Albert Ouhioun, décédé quand elle avait juste onze ans. Il lui a transmis le goût de la culture judéo méditerranéenne et orientale francophone ainsi que celui de la généalogie. La mère d’Albert avait divorcé, chose rare en Algérie à l’époque, et était partie d’Oran avec ses deux fils, lui et son frère Meyer. Il portait encore le nom de famille de son père mais s’était distancé avec le temps de la famille Ouhioun. Albert savait qu’il avait eu un oncle éloigné prénommé Rafaël qui était mort pendant la guerre, mais il avait toujours pensé que ce dernier n’avait pas laissé de descendance et c’est la version qu’il transmit à sa petite fille préférée. Encore plus grande fut donc la surprise de Mariam d’apprendre que j’étais le petit-fils de Rafaël. Rafaël eut en effet 5 enfants, dont deux héritant d’un talent musical et d’une fibre artistique, ma mère Eliane Sabattier alias Liane Sab, chanteuse de jazz à la voix sensuelle et mon oncle décédé il y a 12 ans maintenant, Paul Ouhioun dit Paul-O, entrepreneur charismatique, chanteur auteur et interprète de tango et de chansons romantiques et nostalgiques dont la ressemblance avec Rafaël était frappante.

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Au cours de ses recherches passionnées sur ses origines, Mariam avait également fait la connaissance à distance de Francine Mayran-Hertzog, une «artiste de la mémoire» basée à Strasbourg. En son honneur, Francine réalisa un tableau portrait de Rafaël s’inspirant de la même photo trouvée sur mon site musical sans même le connaitre et ignorant qu’il avait des descendants contemporains. J’apprenais alors le jour même de ma rencontre virtuelle avec Mariam l’existence de ce portrait et que la toile allait être exposée dans le cadre d’événements commémoratifs à travers toute l’Europe (ci-dessous et pochette CD plus haut). J’en informais bien sur ma mère qui quelques semaines après cette découverte fut l’invitée d’honneur et me représentait lors de la première exposition dans une Mairie parisienne qui inaugurait le tableau de son père déporté.

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Je souhaitais que ce nouvel album évoque non seulement le souvenir de Rafaël mais explore également des thèmes inspirés par cette belle histoire: la transmission, l’amour des siens, le retour aux sources, l’errance et la résilience. Malgré la gravité du sujet de départ, je ne voulais pas que cet hommage s’enferme dans la mélancolie mais qu’il comporte aussi des musiques festives, rythmées et des chansons cathartiques, à l’image du personnage curieux, chaleureux et lumineux qu’avait pu être Rafaël. J’ai commencé à imaginer les pays et cultures musicales que mon grand-père aurait aimé découvrir, les artistes qu’il aurait admirés, s’il avait rescapé des camps et traversé les décennies de l’après-guerre qui précédèrent ma naissance: les années 40, 50 et 60.

Ma grand-mère Meriem Germaine Ouhioun née Sabbath avait survécu au drame en France et resta veuve de son compagnon 40 ans durant. Elle m’avait raconté une fois que le rêve de Rafaël était justement de partir et d’embarquer toute la famille en bateau pour traverser l’Atlantique et atteindre des villes portuaires comme New York ou Buenos Aires pour y refaire une nouvelle vie dans une terre libre foisonnante de possibilités. Paris, dans la quête de Rafaël, ne devait être qu’une étape provisoire et non une fin de parcours.

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Plus de 55 ans après la disparition tragique de Rafaël et 15 ans après le décès de ma grand-mère, j’eus la chance, à la fin des années 90, de partir m’établir outre-Atlantique et d’y acquérir une longue et riche expérience qui allait façonner ma vie de jeune adulte, personnelle, professionnelle comme artistique. Il y a un peu plus de 7 ans maintenant, début Juillet 2012, en pleine semaine de la célébration de l’Indépendance Américaine (Independence Day, July 4th) et quelques mois avant la réélection du président Obama, je fus, lors d’une belle et émouvante cérémonie tenue par Hilda Solis, secrétaire d’Etat au travail, naturalisé et officiellement reconnu citoyen de mon pays d’adoption, le pays qui jadis libéra l’Europe de l’occupation Nazie. Je pense que Rafaël aurait été fier pour moi et pour toute la famille de cette honneur que je recevais symboliquement au même âge, jeune quarantaine, où sa vie fut brusquement interrompue par la barbarie humaine. Même si je n’ai jamais eu la chance de le rencontrer en personne, ce fut un peu une façon de réaliser son rêve, portée par son inspiration et l’esprit de liberté qui l’habitait. Le jour où cette jeune et courageuse lycéenne du Caire m’a contacté à son sujet et que j’ai appris qui elle était en découvrant en plus le magnifique tableau du portrait de Rafaël sur la «toile mondiale» (global web), alors la chaine de la transmission de la mémoire a été renouée et renouvelée. Elle révéla soudain tout son sens à mes yeux d’adulte maintenant plus «aguerri» de la vie.

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De ce périple, ces leçons et ces recherches est né la bande son de l’album, comme cette chanson du thème présentée plus bas en extrait vidéo.  Je dédie ce projet et cette musique à Rafaël, à Mariam, ma nouvelle petite cousine d’Egypte, que j’ai pu rencontrée par la suite à Paris, à la peintre et maintenant grande amie Francine Mayran, à ma grand-mère, à ma mère à la voix et au cœur d’or, à mon père qui me manque tant, à mon oncle Paul dont l’amour, la chaleur et l’aventure musicale m’ont toujours inspiré, à mon autre et cher «oncle d’Amérique» professeur Robert Frank Cohen qui a toujours cru en moi comme un père et mentor,  à ma petite fille Liora et à sa maman Evelyne, à toute ma famille et à tous «les miens» et ainsi qu’à la mémoire de toutes les victimes de tragédies et barbaries qui n’ont pu vivre jusqu’au bout leurs rêves et aspirations.

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Gardons espoir pour des jours plus paisibles, joyeux et chaleureux, rythmés par la musique du coeur.

Ne jamais oublier. Never forget.
Ha-Shoa Le’Olam Lo Shuv

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Ancien analyste de risques pour la banque d’affaire Lehman Brothers, Pascal Lorenzo  Sabattier est un auteur, consultant et traducteur franco-américain qui partage sa vie entre Paris et New York. Artiste musical, il a sorti quatre albums sous le nom de scène Pascalito, produits par son label indépendant Neostalgia Music NYC . Ses oeuvres originales ont été éditées et diffusés dans les séries TV Burn Notice (USA), Damages (FX) et NCIS Los Angeles (CBS).

Contact: info@pascalito.com  ou pascal.sabattier@gmail.com 

Images & photos: Francine Mayran-Hertzog (tableaux: Rafaël / Frank Leslie ( Statue of Liberty @Ellis Island)

Vidéos musicales: The Picture of Rafael Ohayon
Réalisations d’Arié Ohayon

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